Le colonel André Gravier

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Le colonel André Gravier

L'Histoire
Le colonel André Gravier (1911-2004)

Un héros vosgien de la bataille de Bir-Hakeim et de la France libre





Les pensionnaires des maisons de retraite sont les derniers témoins des événements tragiques ou héroïques de la seconde guerre mondiale. J'ai eu la chance de rencontrer il y a quelques années dans l'une d'elles, à Maxéville, un de ces hommes doté d'une grande valeur intellectuelle, et d'un grand courage physique et moral, un de ces soldats professant un profond patriotisme: le colonel André Gravier.

Né le 18 mai 1911, à Eloyes, dans les Vosges, issu d'une famille d'ouvriers du textile, André Gravier fut pupille de la Nation. Son père ayant été tué dans la Somme en 1916 il devint boursier et put poursuivre ses études, au Collège de Remiremont, puis au Lycée Henri Poincaré de Nancy. Elève brillant, bachelier en 1930, il entre l'année suivante à l'Ecole Polytechnique. Après deux années passées à l'Ecole militaire et d'application du Génie à Versailles il est nommé sous-lieutenant. Il sert successivement au 19ème régiment du Génie en Algérie et à la Chefferie des travaux du Génie à Gap en 1933.
Quand sa mère meurt en 1935, plus rien ne le retient en métropole il souhaite regagner l'Afrique. Affecté alors au 32ème bataillon du Génie d'Alger, hors des préjugés répandus de l'époque, il se lie d'amitié avec les "indigènes" et épouse la petite fille du pacha d'Alger Elisa Boulouk descendante d'une famille ottomane de grande notoriété. En août 1939, capitaine, il est envoyé au Levant (la Syrie actuelle, à l'époque sous protectorat français) à la tête d'une compagnie affectée aux travaux du Génie d'Alep.

En juillet 1941 la voie de la soumission est alors prônée par le Maréchal Pétain et les autorités vichystes et il est proposé aux militaires français de l'armée de Syrie de rentrer en France. Il fait alors partie de la minorité des 45 000 militaires français et autochtones qui choisit de continuer à se battre dans les rangs de la France Libre refusant la neutralité et la collaboration avec l'Allemagne nazie alors que le général Dentz commandant les troupes françaises, se sent lié par la signature des conditions de l'armistice ce qui entraînera un combat fratricide.


Le général Dentz


Au mois de décembre suivant André Gravier est affecté à la Division Française Libre en tant que capitaine, chef du génie divisionnaire de la première brigade française libre commandée par le général Koenig.



Le général Pierre Koenig

C'est ainsi qu'il se retrouve à Bir-Hakeim en février 1942 à la tête de la 1ère compagnie de combat et de la 1ère section de parc du génie renforcées par un "squadron" du génie britannique et deux sections de pionniers de la Légion, face aux forces de l'Afrika-Korps.

Au printemps 1941 Rommel nommé à la tête de l'Afrika-Korps par Hitler en Libye afin d'enrayer la déroute des Italiens, avec mission de s'introduire en Egypte et de s'emparer du canal de Suez, réussit à stopper la débâcle italienne. Ses troupes avancent de la Cyrénaïque (à l'est de la Libye) jusqu'aux abords de la frontière libyenne-égyptienne. Il manoeuvre si habilement qu'il est surnommé le "Renard du désert".





En mai 1942 Rommel, face à la VIIIe armée britannique, souhaite reprendre le port de Tobrouk dont les installations sont essentielles pour le ravitaillement de ses troupes. Dans le dispositif de défense des forces anglaises qui prévoit le contrôle d'un quadrilatère de 3000 km2, la 1ère Brigade française libre, la B.F.L, est chargée de défendre le sud de cette zone de défense avec le bordj (c'est-à-dire un point d'eau) de Bir-Hakeim, en plein désert, à environ 60 km au sud–ouest de Tobrouk situé sur la côte de Cyrénaïque.






C’est en février 1943 que le général Koenig est affecté à la défense de Bir Hakeim. Pendant trois mois de période calme, il organise la position sur 16 km2 de désert plat. Il disposera le jour de l’attaque de 3725 hommes doté d’un matériel important, mais manquant d’artillerie lourde.





Des fortifications de campagne sont aménagées et des barrages de mines sont implantés. A Bir-Hakeim la responsabilité d'André Gravier est énorme. Avec son sérieux, et sa compétence aux côtés de ses hommes qu'il sait entraîner et former, il disposera 142 000 mines et comme il le dira lui-même "selon la méthode de Vauban", en hérisson. Rommel souhaite attaquer par le Sud pour contourner les forces britanniques et envelopper la VIIIe armée britannique par l'arrière et faire ainsi sauter le verrou de Bir-Hakeim pour le 27 mai.





Ce même jour les forces allemandes et italiennes percent le centre du dispositif britannique et s'emparent d'une position centrale Gott-el-Oualeb. C'est alors que la prise de Bir-Hakeim plus au sud devient de plus en plus urgente pour Rommel, d'autant plus que les Français de Division Française Libre ont procédé à de nombreux coups de mains, se sont emparé de nombreux véhicules et ont fait plus de 120 prisonniers et libéré 620 hommes d'une brigade motorisée hindoue.
Le 27 mai, l'attaque est lancée par Rommel sur Bir-Hakeim avec la division italienne Trieste et la 90e division allemande légère appuyées de trois régiments blindés de reconnaissance, de dix groupes d'artillerie et de la Luftwaffe qui va effectuer 1300 sorties du 2 au 11 juin.



Attaque des chars italiens M13/40 de la division Ariete

L'aviation ennemie dispose de plus 40 Junkers, bombardiers lourds, et de 100 bombardiers légers, ces Stukas qui continuent à effrayer chacun par leurs hurlements de sirène comme ils affolaient les civils français et belges pendant l'exode de 1940. Trois jours de suite malgré les violents bombardements de l'aviation ennemie et les tirs de l'artillerie des forces de Rommel de calibre de 155 et de 210 mm, les forces françaises vont résister.


          



(1) L’aviation italienne et allemande effectuera au total plus de 1400 sorties sur Bir-Hakeim déversant au moins 2000 tonnes de bombes.





Un jeune lorrain Gilbert Simon est engagé dans cette bataille. Lorsqu'il revient dans mon village de Vitrimont, près de Lunéville, dans son bel uniforme de soldat de l'armée du Levant, auréolé d'exotisme, il fait l'admiration de tous et en particulier des enfants dont je suis. Né à Boncourt dans la Meuse, issu d'une famille nombreuse, orphelin de père et de mère, il s'est engagé dans l'armée. Maréchal des logis il a choisi en Syrie les Forces Françaises Libres, il sert une pièce d’artillerie à Bir Hakeim; le samedi 6 juin lors des combats, sa position est atteinte par une salve d'obus allemands qui font exploser son canon. Blessé grièvement comme plusieurs de ses camarades; à ses côtés le chef de pièce est tué, il est évacué avec les autres soldats blessés vers la grande tente qui sert d'hôpital de campagne et qui est "clairement indiquée par l'emblème de la croix rouge" selon Susan Travers, infirmière à Bir-Hakeim, tout comme le véhicule qui sert de bloc opératoire.



Gilbert Simon y sera écrasé par les bombes des avions allemands trois jours plus tard avec tous ses camarades qui s'y trouvent. Aucun corps des blessés ni ceux des infirmiers qui les soignaient ne sera retrouvé. Les restes de tous ces soldats seront inhumés dans une fosse commune sur place, après guerre. Les aviateurs de la Luftwaffe n'ont pas respecté la Convention de Genève et n'ont pas épargné la vie de leurs adversaires blessés et hors de combat.











Malgré trois ultimatums de reddition les 2, 3 et 5 juin Bir-Hakeim ne se rend toujours pas et tient bon.
















Le capitaine Gravier surveille les champs de mines, fait réimplanter des mines dans les zones où les hommes du Génie allemand les ont enlevées. Il constate avec surprise des failles dont il ne se sent pas responsable; il les révèle au commandement qui ne s'en préoccupe que trop peu à son avis. La position est de plus en plus intenable. L'eau et les obus des pièces de 75 modèle 1897 véritables canons anti-chars,commencent à manquer.




Le général Koenig décide alors la sortie en masse de toute la garnison dans la nuit du 10 au 11 juin; l'heure est fixée à 23 h 30, mais la manoeuvre est mal préparée. L'ordre a été donné au génie d'élargir le passage entre les champ de mines, à 200 m. Celui de la porte sud large de 57 m va être porté à 100 m. André Gravier manie lui même le détecteur de mines "la poêle à frire" selon l'expression militaire, mais de grosses difficultés surgissent: des amas de barbelés à certains endroits empêchent cette réalisation. Gravier cherche à informer Koenig et se perd en pleine nuit dans le dédale des trous de bombes. A minuit la compagnie Wagner du 2ème BLE sort à pied sans encombre, mais les "Bren carrier" qui suivent avec le général et les véhicules du Q G s'égarent dans le marais de mines et déclenchent l'illumination du champ de bataille.









Deux cents véhicules sont bloqués et attendent le dégagement. Il est alors décidé de forcer le passage. Il est deux heures du matin. La traversée des lignes allemandes se fait sans trop d'encombres mais un canon allemand prend à partie tout véhicule qui continue à sortir. Avec son Bren carrier, le capitaine Gravier fonce sur le canon allemand et le détruit juste au moment où son véhicule reçoit un obus qui tue le lieutenant Dewey à ses côtés, ainsi que deux soldats et le blesse lui-même grièvement.




Douze heures plus tard Gravier qui a réussi à se traîner dans le désert avec près de vingt éclats dans le visage, et perdu un oeil, est récupéré par une patrouille anglaise, alors que la diffusion de la nouvelle de sa mort s'est répandue. Les deux tiers de la garnison de Bir-Hakeim ont pu échapper malgré tout à l'ennemi. Plus de 2500 hommes vont rallier l'armée anglaise,





mais cette sortie en force se soldera par de lourdes pertes : environ 250 tués, 600 prisonniers et près de 400 blessés.







Le cimetière français de Bir-Hakeim

Le commandement du général Koenig sera mis en cause par le capitaine Gravier lors de la conduite de cette sortie. Outre le manque d'ordre précis au bon moment, son départ précipité avant ses hommes, est un des points délicats à comprendre. Pour le commandement militaire l'attitude critique vis à vis d'un supérieur, est un crime de lèse-majesté commis par André Gravier ce qui va le poursuivre tout au long de sa carrière et être un véritable frein à toute obtention d'une légitime promotion. Son avancement dans la hiérarchie militaire va devenir fort difficile. Il sera nommé néanmoins commandant du Génie à la 2ème Division de la France Libre (DFL) en septembre 1943 après avoir combattu en Tunisie.









La légende va se substituer à l'histoire comme souvent. Le général Koenig sera le grand vainqueur de Bir- Hakeim à la tête de ces soldats français valeureux que Rommel traitait avec un certain mépris. Mais les choses sont toujours plus complexes. Si le général Koenig est un combattant courageux et valeureux il a semblé montrer quelques défaillances dans son commandement. Quoi qu’il en soit le but final fut atteint, la résistance de Bir-Hakeim en retardant de seize jours, les forces de Rommel, a permis à la VIIIe armée anglaise de se reprendre et de s'établir sur des positions solides et va rendre possible du 23 octobre au 4 novembre 1942, la riposte des forces alliées et la victoire décisive d'El Alamein (à 100 km à l'ouest d'Alexandrie) portée à l'actif du général anglais Montgomery.
Bir-Hakeim eut un fort retentissement mondial à cette époque. Bir-Hakeim fut le symbole du redressement français après l'effondrement de notre armée en 1940. Dans la station de métro parisien «Quai de Grenelle», dénommée depuis 1949, « Bir-Hakeim », on peut lire sur une plaque commémorative que "la Royal Air Force lança alors sur la France occupée, deux millions de tracts intitulés "Bir-Hakeim victoire française". Et les Français occupés que nous étions, reprirent confiance en l'avenir.

Après la bataille de Tunisie à laquelle il participa, André Gravier est incorporé dans la 2ème Division Blindée commandée par le général Leclerc. Il est alors chargé de recruter et de former les sapeurs du 13ème bataillon du Génie. Du 1er au 3 août 1944, avec la Division Leclerc il débarque sur la plage d’Utah Beach en Normandie. Avec ses sapeurs André Gravier assure le passage des troupes et des chars de Leclerc en déjouant les pièges, les mines et les obstacles dressés par l'ennemi en retraite. En septembre il participe à la libération de Vittel et à la bataille de chars de Dompaire. Pour permettre le passage de la Moselle entre Nomexy et Châtel à la 2ème Division Blindée il fait lancer sous le feu de l'ennemi deux ponts sur le Canal de l'Est et un pont sur flotteurs, sur la Moselle en pleine nuit.

Début octobre à Lunéville quelques semaines après l'attaque des chars allemands qui ont tenté de reprendre la ville aux mains des Américains, le général Leclerc demande à André Gravier un moyen de conduire ses chars au nord de Baccarat afin d'établir selon ses prévisions, une base pour le passage des cols des Vosges et d'entreprendre sa marche vers Strasbourg.
Pendant quatre jours le commandant du Génie de la 2ème D. B. Gravier, épaulé par le 1101e Engineer Combat Group de l’armée américaine, doté de 120 camions-bennes GMC, va faire établir une piste empierrée de 4 km à travers la forêt de Mondon entre la RN 4 et la RN 59 et permettre ainsi le succès de l'entreprise.





Le 31 octobre les chars de la 2ème Division Blindée déboucheront là où les Allemands ne les attendent pas, près d'Azerailles et ce sera la prise de Baccarat, puis dans la lancée, le passage des Vosges et la libération de Strasbourg, le 23 novembre 1944 où, sur la place Kléber le général Leclerc pourra déclarer que le serment de Koufra est enfin tenu, c'est-à-dire la libération de la France jusqu'à Strasbourg.
En huit mois avec ses sapeurs, André Gravier aura réalisé 72 franchissements dont 28 ponts sous le feu de l’ennemi, tout en dégageant les obstacles et les mines placés par l’armée allemande en retraite.
Proposé à un grade supérieur par le général Leclerc qui insiste, car il sent une résistance au Ministère, le commandant André Gravier malgré le risque d'être maintenu à son grade, est enfin nommé lieutenant-colonel par le général Leclerc en novembre 1744. Epuisé par la campagne d'Alsace qui s'est déroulée dans des conditions de vie extrêmes, le nouveau promu est fin mars 1945, évacué sanitaire à Chateauroux est envoyé au Val de Grâce, section tuberculose. Il y restera jusqu'à sa guérison en 1947. Rétabli on tentera de lui confier un poste placard de professeur à l'Ecole du Génie. Il choisit la réforme et pour lui, la loi sur le dégagement des cadres ne va pas s'appliquer. Il ne sera pas élevé au grade supérieur comme le veut la tradition. Revenu à la vie civile il deviendra ingénieur des Travaux publics. Il se remariera après la guerre et aura deux filles.
Mais si André Gravier fut maintenu dans son grade, nous savons combien, il restera glorieux dans le souvenir des hommes de notre époque. Décédé le 14 novembre 2004, six jours plus tard un hommage lui a été rendu au crématorium de Nancy en présence de soldats du 13ème Bataillon du Génie en tenue, sans armes, sans cérémonial militaire conformément à ses dernières volontés, en présence de ses filles, de toute sa famille et de tous ses amis. Ses cendres seront inhumées au cimetière du Valdahon parmi ses soldats. Il avait reçu la croix de compagnon de la Libération le 9 septembre 1942 des mains du général De Gaulle. Mais la plus belle de ses reliques et de ses récompenses était une photo que lui avait dédicacée le général Leclerc le 18 juin 1945 avec ces mots: "Au colonel Gravier sans lequel jamais la 2ème D.B. n'aurait pu réaliser les performances exécutées. En gage d'amitié fidèle. Leclerc."
André Courbet



Sources: Espace de Mémoire:
André Gravier La Vérité sur Bir Hakeim. Imprimerie Christmann. Essey-les-Nancy 1990.
A. Gravier en collaboration avec le général Cholley. Les Sapeurs de Leclerc. 1983.
Articles de L'Est Républicain des 29 juillet 2002 et 17 novembre 2004.
Erwan Bergot, Bir Hakeim. Février-juin 1942. Presses de la Cité 1989.
François Broche, Bir Hakeim, Mai – juin 1942, Perrin 2008.
Dominique Lormier, La bataille de Bir Hakeim, une résistance héroïque, Calmann Lévy 2009
Susan Travers Tant que dure le jour. Amour et héroïsme dans le Seconde Guerre mondiale. J'ai Lu. Plon. 2001. (Chapitre Une victoire à la Pyrrhus qui retrace les dures conditions du combat de ces soldats français).
Résumé de la communication de Pierre Messmer du 4 juin 1982. Mémoires de l’Académie Stanislas. Années 1982-1983 / 1983-1984. 123.
Bulletin de l'Amicale des anciens du 13ème B.G. "Les Sapeurs de Leclerc" de la 2ème D.B., n° 78, 3éme trimestre 2005, avec notamment les articles du colonel Bunouf.
Remerciements à Mme Marie-Thérèse Letasset, à M. le colonel Michel Bunouf, à M. Jean Jaubert ancien combattant dans la 2ème D. B. et ami d’André Gravier, et à Mme Odette Lair-Louis parente de Gilbert Simon, pour la communication de tous les documents ayant permis la rédaction de cet article..





A ce jour, 143 militaires français sont morts pour la France en Afghanistan, en Somalie, au Mali ,au Levant et en Centrafrique
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